
Une histoire de famille

Photos © Jeremy Bernard
L’équation est rare et exceptionnelle : deux fils, l’un coureur pro et l’autre semi-pro, initient leur père, 60 ans, au trail running… et pas n’importe lequel : l’ultra ! Ils visent chacun une course : la TDS® pour Sylvain, la CCC® pour Pascal (le père) et l’UTMB® pour Sébastien. A chacun une ligne d’arrivée à franchir et surtout un défi collectif à relever.
27 août 2018. L’ambiance est bien différente des autres années, dans le chalet des Camus, sur les hauteurs des Houches. Comme à chaque édition de l’UTMB®, ils entourent Sébastien, coureur professionnel (7ème UTMB® 2016), dans les jours précédents la course. Sylvain (2ème CCC® 2017) est également au centre de l’attention de toute la famille, y compris les enfants, qui font le déplacement. Mais pour cette édition de l’UTMB®, il y a une grande nouveauté : Pascal, 60 ans, le père de Sylvain et Sébastien, ne sera pas spectateur. Il prendra le départ de la CCC® pour tenter de réussir son premier ultra. « Un père avec ses deux enfants qui font chacun une course de l’UTMB®, c’est juste fabuleux », lance Sebastien ravi de ce nouveau défi.
Avec ce mélange de tendresse, d’attention et de chamaillerie qui peut exister entre un père et ses fils, Seb et Sylvain conseillent Pascal sur la préparation du matériel, sur la meilleure façon d’accrocher ses bâtons, sur la façon de charger son sac. « Moi je suis un coureur de macadam », explique Pascal, « un coureur de 10'000, de semi-marathon, de marathon… Mon meilleur temps était 2h38 au marathon à Berlin. Après, j'ai participé à quelques petits trails de 20km jusqu'à 40km. L’idée de courir un ultra m'est venue il y a deux ans : j’accompagnais souvent mes fils pour l'UTMB® et à chaque départ j'avais le frisson. Je me suis dit qu'un jour, pour ma retraite, j’allais m'offrir le défi de la CCC® ».
Tous les trois se sont entrainés pendant une année, chez eux à Sospel, sur les pentes donnant sur la Méditerranée, un terrain de trail idéal. Il y en a des heures de courses dans ces muscles aux fibres finement soudés comme un cadre de vélo de course, bien alignées dans l’effort. L’esprit est tout aussi affûté et l’oeil sévère rappelle qu’une course, ça se gagne.
Le mental, Pascal l’avait déjà, en revanche il a du apprendre à marcher dans les montées, à adapter sa foulée en descente, à gérer son hydratation et son alimentation, à choisir le bon matériel… bien coaché par ses fils.
Le départ de la TDS®, mercredi matin, sonne le début de l’aventure. C’est Sylvain qui ouvre le jeu. Seb et Pascal sont au chalet, devant la retransmission live de la course. Ils encouragent Sylvain à distance, qui, après un bon départ de course et une première partie maitrisée, manque de chuter dans la descente vers Bourg-Saint-Maurice. Il se bloque le dos. Les muscles se verrouillent uns à uns et au Cormet de Roselend, quasiment à mi-course, il est contraint d’abandonner. Un coup dur. « J’ai eu un gros pincement au cœur parce que je savais qu'il était bien physiquement, je pensais qu'il allait faire un podium. Ca m'a mis un petit peu la pression, c'est clair », regrette Pascal. Pour Seb, un abandon est une défaite difficile à digérer : « dans de l'extrême, quand il y a un grain de sable dans l'engrenage, le résultat est inaccessible… ce n'est pas décevant, c'est troublant… tu ne sais pas trop comment le gérer. »
Dans cette famille Camus, on sent l’esprit de compétition, l’habitude de l’enjeu, la volonté de réussir et l’énergie collective qui les redresse quand ils prennent des coups. Cela se voit au départ, pendant la course, mais aussi après, et notamment dans la gestion de l’échec. Il y a les mots justes, les regards à bonne distance, parfois une pique destinée à relancer plus qu’à bousculer. Le soir, alors qu’ils se retrouvent tous les trois après la TDS®, Sylvain passe le relais à Pascal, le prochain à s’élancer, jeudi matin, sur la CCC®. « Cet esprit de famille entre nous c'est bien, c'est fort, on peut faire de belles choses », insiste Pascal. Et vendredi matin, c’est lui qui est concentré, dans les dernières minutes avant le départ, les derniers conseils de ses fils dans les oreilles. « Ca va bien se passer, il a la capacité à réussir, il faut qu'il gère », l’encourage Sebastien.
Pascal, en élève discipliné, respecte à la lettre sa stratégie et son timing. Il démarre tranquillement, adopte un rythme constant et imperturbable qu’il conservera toute la course, traversant les points de ravitaillement avec une belle lucidité tout en restant dans ses prévisions. Les derniers kilomètres sont les plus durs… cette dernière grande montée sur la Flégère est impitoyable… elle est interminable au coeur de la nuit. Pascal franchi la ligne d’arrivée peu après 3h du matin, en forme, heureux d’avoir réussi son pari. « C’est mon premier ultra, et c’est le dernier !», lance-t-il à un Sylvain aux anges.
Au même moment, Sebastien est à Courmayeur. Il apprend que son père a réussi. Il est dans les 20 premiers. Tout semble enfin réussir… mais c’était sans compter une nuit hostile et dévastatrice qui allait faucher un à un les favoris de la course.
« Et là : gros coup de froid au Grand Col Ferret… température ressentie entre -10°C et -15°C, le brouillard… », raconte Seb, « je pense que j’y ai laissé beaucoup, beaucoup d'énergie. Le fait d'avoir eu un petit manque dans mon alimentation… ça a dû piocher un peu trop profondément dans mes réserves et ensuite j'ai senti que je commençais à perdre un peu de vitesse mais j'ai continué à me maintenir… une trentaine de kilomètres de galère… jusqu'à Trient où je suis vraiment épuisé… j’ai envie de dormir... je sens que mon corps me dit stop… ». Après Courmayeur, Seb était pourtant remonté dans le classement, atteignant la neuvième place à la faveur des abandons en série devant lui. A Trient, il dort une bonne heure. Sylvain et Pascal sont là, avec une grande partie de la famille, sur le pont après une courte nuit de sommeil. Mais Seb n’y arrive plus. « Je voulais absolument chercher cette ligne d'arrivée… je ne voulais pas faire comme l'année dernière… abandonner… mais c’était vraiment trop dur…. j'ai senti qu'il n'y avait vraiment plus rien ». La déception est palpable. pourtant, malgré leur double abandon, Sylvain et Seb ont réussi leur pari : ils ont emmené Pascal sur la ligne d’arrivée de son premier ultra.
Le lendemain, reposé mais marqué, Sébastien tire les leçons de cette aventure : « On a amené notre père à vivre une expérience exceptionnelle et unique, et ça c'est fabuleux. Grandiose ! C’est une grande satisfaction qu’il ait terminé… chapeau bas le padre. » Les victoires ne sont pas toujours là où on les attend.
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